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En basse-fosse
Claro

Le dehors,je l’ai vite rogné, l’ayant vu depuis les ruines enfantines du dedans, quand on est encore bulle et qu’autour de cette bulle qu’est le soi tout semble ronces et conspire à percer la paroi. À moins qu’il fût une illusion, ce dehors, et qu’en son sein je ne fusse qu’un détail parmi d’autres, un détail du dehors, un simple point de vue se croyant à l’abri du dehors, pour ainsi dire hors du dehors. Mais moi j’étais dedans, dedans moi, j’étais l’intérieur de la bulle et son inaliénable sphéricité, l’air contenu et son refus du vent. Dehors danger, dehors panique, dehors débordant : je n’ai jamais aimé le dehors, soit peur qu’il me dévore, soit désir de lui être étranger. Le dehors commençait à la porte de ma chambre, et au-delà je savais qu’il ne cessait d’enfler, de se répandre, il avait la panse d’un ogre et les yeux d’un aigle, il faisait des bruits de jungle et lâchait des fumées d’enfer, ce devait être quelque chose d’ambitieux, de métallique, un cauchemar forain. Inconnaissable, bariolé, criard, tarifé, mouvant, avide, sans doute excitant mais hérissé, crépu, rêche, un foyer tétanique, une décharge et un festival : pas ma came. J’ai bâti mon dedans à rebours de cet encombrant dehors. Tout peupler au fond, tout échafauder dans l’ombre, tout greffer en intime, et calfeutrer repousser nier s’abstraire sans cesse. Non pas une horreur du vide, mais une frousse du plein. On avait beau me vanter les attraits du dehors, à belles dents y mordre jamais, l’odeur du réel m’apparaissait éventée de longue date, et cramponné à une machine pourvue de touches je m’efforçais, par le fracas des lettres enfoncées, de masquer le grand bruit du dehors. Il fallut pourtant m’y enfoncer un peu, ou du moins accepter qu’il s’immisce en moi, me pince les joues, maudit crabe. Mal préparé à toute immersion dans cette usine surchauffée qu’est le dehors, je multipliai les feintes, me faisant porter pâle au moindre rayon, parvenant chaque fois à localiser en tout atelier une trappe donnant sur quelque cave. Filtré, déformé, le dehors paraît rouillé, pourquoi m’y attarder ? Acquis à un devenir-taupe, ami des tunnels, je travaille depuis toujours en basse-fosse. À ma porte que je veux condamnée, le dehors se plaît à souvent frapper son trio de coups, mais lui ouvrir n’est pas de mon ressort, j’ai à charge une obscure ménagerie, dont moi seul connais les noms et les exigences. Et voilà qu’aujourd’hui le dehors pourrit de partout, voilà qu’il rampe et craille, en carnaval offert aux morts, voilà qu’il fait tapage et devient désert en même temps, tout semble se gripper, déraper, basculer, le dehors n’est plus désormais qu’un cirque en ruines où trébucher. Œuvrant au noir, en partielle surdité, sans fierté aucune, intime aux ombres, j’attends qu’apparaissent les premières fissures. Ça va céder, déjà ça craque. Mais, et ce n’est encore qu’une hypothèse, quand le dehors viendra me débusquer, il n’est pas exclu que j’y prenne goût. Ce n’est pas dans mon intérêt, mais quel intérêt sera le mien quand tombera le monde ancien ? En attendant l’extrême, je relis cette phrase de Dominique Fourcade sans trop savoir quoi en penser, en faire, je la relis en espérant que son sens parvienne jusqu’à moi : « Je me dis que quelqu’un qui n’est plus un vivant et, le temps de quelques lignes, pas un mort, ce doit être ça un écrivain ».