N’importe quel plan m’est un labyrinthe. Ce viatique me semble toujours d’abord reculer indéfiniment le but, à la fois par le nombre de trajets possibles dont le foisonnement est en un instant offert à mon regard, et par les errances, les erreurs de lecture, les chemins rebroussés que connaîtra immanquablement mon itinéraire réel. D’un point A à un point B, la ligne droite est en réalité exclue au moins neuf fois sur dix. Aussi à peine ai-je mis un pied dehors que la boussole s’affole, et j’ignore déjà au troisième pas d’où je viens et où je vais. Est-ce parce que le sens de l’orientation me fait si cruellement défaut ? Ou cela rattrape-t-il une enfance passée au milieu de labyrinthes particulièrement ennuyeux, l’inverse en quelque sorte de la porte de placard qui ouvre sur le quai d’une gare ? (Ne me dites pas que j’invente, que ce fut un rêve ou une lecture mal digérée, je m’en souviens comme si c’était hier et puis vous donner, à Roanne, l’adresse dudit placard.)
En tout cas, bien avant que je ne rencontre le Minotaure (sans parler de Thésée, devant qui je passai mon chemin — je ne suis pas de tempérament héroïque et je déteste qu’on me plante là), les labyrinthes occupaient une place de choix dans mon paysage, sous deux formes distinctes mais très étroitement apparentées, au gré de deux expériences qui me paraissent répétées un nombre incalculable de fois entre quatre et six ans, mais qui aussi bien ne survinrent peut-être qu’une fois.
Ce furent d’une part ces « jeux » de réflexion où l’on est invité à retrouver son chemin en traçant le parcours qui doit mener à bon port. Un peu plus grande, je me passionnai pour ces inextricables écheveaux qui réclamaient une vue perçante, non pas dans le détail, mais pour saisir un motif d’ensemble, tout en me délectant de la foison des itinéraires possibles, qui promettaient je ne sais quelle inépuisable richesse. J’étais alors proprement entrée dans le jeu. Pourtant figure parmi mes tout premiers souvenirs une initiation bien moins amène où, crayon tremblant à la main, je m’entendais sommée de « ne pas toucher les bords » par ma mère — son métier de prof ajoutant, sinon à la véhémence du ton, du moins aux abords plus sérieux que ludiques de l’exercice. Je ne me rappelle pas si je finis ou non par retrouver mon chemin, mais j’ai appris depuis que la consigne, comme si souvent à l’école, était inepte : dans un labyrinthe, il faut au contraire longer sans désemparer une paroi, celle de gauche ou celle de droite, qu’il est recommandé de toucher, de suivre de la main, plus fidèle que les yeux dont le regard se perd parmi les traîtres tours et détours[1].
Ce fut ensuite, au bas de l’immeuble de ma grand-mère, et que je surplombai de huit ou neuf étages une fois hissée à hauteur de fenêtre, le petit labyrinthe de buis d’un square où l’on m’emmenait parfois. La vue plongeante que m’offraient nos positions respectives en faisait l’équivalent parfait, réel, des dédales de papier que je connaissais. Il n’était sans doute pas plus ambitieux que ces derniers et ne s’étendait guère sur plus de vingt mètres carrés. N’empêche, je ne sais quels contes et images avaient dû doter le labyrinthe des nombreux prestiges de l’imaginaire, car j’avais toujours hâte d’aller au square et de pouvoir m’affronter à son casse-tête. Le moment arrivait enfin : nous nous préparions — je refrénais mal mon impatience —, nous mettions en route, y allions, y étions ! Je me précipitais à l’entrée du labyrinthe… et au bout de trois minutes à peine je me retrouvais à la sortie, vaguement étonnée et franchement déçue de ne m’être pas égarée (je n’avais pourtant pas touché les bords, si je me souviens bien).
Contrainte et frustration se partagent ainsi mes premiers pas dans le labyrinthe, ce qui résume finalement assez bien le dispositif : d’une part, il garantit qu’il y a un chemin vers la sortie, de l’autre il vous le dérobe. Vous parlez de perversité (laquelle n’est au fond qu’une direction qui a mal tourné, si l’on suit l’étymologie) ! Il semble par excellence l’espace de transition entre dedans et dehors, mais un dehors éloigné, reporté, ou pire encore, aboli : ni dehors ni dedans. Le lieu dédié à une errance infinie. Tel est bien en tout cas le trait que semble retenir souvent la modernité, un espace retors, mouvant, qui se prête à tous les jeux de la réflexivité, doubles et mises en abyme, symbole d’irrémédiable clôture sur soi-même, plus ou moins teintée de mysticisme (pensez, la Grèce ! Éleusis ! Cybèle, Dionysos ! etc.), et dont on a presque chassé tous les protagonistes. Idéal pour les crises de solipsisme.
Or, à l’instant de m’égarer dans les méandres de ma propre réflexion, je m’avise que, si séduisante m’ait paru d’emblée l’idée du labyrinthe, mon engouement se porte en réalité bien plutôt vers ses mises en pratique concrètes : dédale des rues conduisant au lieu de rendez-vous, chemins forestiers détournés dévoilant quelque recoin inattendu, ou encore parcours tarabiscotés, truffés de passages secrets, de tel ou tel jeu vidéo. Irais-je jusqu’à parler du fil d’Ariane entortillé que l’on démêle patiemment pour découvrir… comment appeler cela ? le sens d’un texte ? sa portée ? Disons plutôt une vue imprenable sur le texte, un dessillement subi, où tout entre en résonance : l’œuvre et vous et ce qui vous entoure vous et le texte. Autant pour le concret, me direz-vous. À la vérité, non seulement imaginer mon propre labyrinthe ne me séduit nullement, mais même me perdre vraiment ne me plaît pas tant que cela. Oui, bien sûr, le labyrinthe du square était trop petit ; à peine entrée, j’en étais déjà sortie, comme s’il m’avait laissée au point de départ, ne menait nulle part, alors que j’avais justement espéré de tout mon cœur d’enfant qu’il me conduisît quelque part. En deux mots : qu’il soit proprement un itinéraire, aimanté par un but, orienté, même à la destination imprévue, de préférence à la destination imprévue.
Est-ce à dire que l’essence du labyrinthe m’échappe ? Le mythe grec ne se complaît en tout cas nullement dans une désorientation généralisée, qu’il orchestre à la seule intention du Minotaure et de ses victimes. L’ordre qu’il reflète est clairement orienté : le Minotaure est en dehors du monde des hommes. Il s’agit moins grâce au labyrinthe de s’en protéger que de l’exclure. Le héros, Thésée, n’a donc aucun mal à entrer puis — pif paf il dégomme le monstre —, à en sortir. C’est expédié en moins de trois vers, fil d’Ariane compris, chez Ovide : « Avec l’aide d’une jeune fille, grâce au fil qu’il enroula à nouveau, / le fils d’Égée retrouva difficilement la porte que nul avant lui /n’avait refranchie.[2]» Ça se corse un peu pour Dédale, pris à son propre piège comme un miroir tendu après avoir trahi Minos, qui le jette dedans pour la peine. Mais lui non plus, si l’on peut dire, ne perd pas le nord : pour s’y repérer et en réchapper, il suffit de prendre de la hauteur. Bon, malheureusement, les cieux deviennent vite chasse gardée des dieux, on sait ce qu’il advient de son fils — mais l’orientation qui ordonne le monde grec et que suivent donc ses héros n’en est que plus nette. Ils ne risquent pas de s’égarer longtemps.
Une telle aisance serait presque décevante… si ce n’est qu’elle invite à déplacer le caractère retors du labyrinthe à l’extérieur, dans ce monde des hommes dont il n’est qu’un artefact. Après tout, sans la ruse de Thésée, on aurait continué, visiblement sans trop s’émouvoir, à livrer ses repas humains au monstre. Surtout, on ne s’est pas contenté d’une prison. Car il ne s’agit pas seulement d’exclure le Minotaure. Non, il faut encore le cacher, le faire disparaître « sous un toit aveugle[3]». Le nier, l’annuler, puisque son existence couvre d’opprobre la famille royale en fournissant une preuve des galipettes ignobles de Pasiphaé. Au fond, le problème est que la frontière entre l’homme et la bête n’a rien de bien étanche. À défaut de l’admettre, on la dissimule, on tente de l’épaissir, mais en se gardant tout de même le monstre sous le coude. Minos a justement une querelle à régler avec le père de Thésée, autant que ça serve, les sacrifices humains nourriront aussi bien sa vengeance que le Minotaure. Autrement dit, l’illusion n’est pas dans le labyrinthe et son sinueux parcours, elle est le labyrinthe, construction destinée à rendre visible une séparation loin d’être naturelle — surtout si l’on se rappelle que Minos est le fils d’Europe et de Zeus, qui prend la forme d’un taureau pour enlever la jeune fille. De là à dire que c’est lui-même que Minos enferme dans le labyrinthe… Tout cela nous prend des airs d’inconscient et de refoulé des plus louches.
Mais me voilà bien avancée, à étouffer derechef au cœur du labyrinthe quand je croyais l’avoir habilement traversé. J’aurais pu m’en douter, me fera-t-on remarquer. C’est bien moi, ça, foncer bille en tête dans la direction opposée à celle que j’aurais dû prendre et être contrainte à rebrousser chemin. Ne me reste-t-il vraiment que Thésée à me mettre sous la dent ? Lui semble n’avoir pas aperçu fût-ce un vague reflet trompeur et le fil d’Ariane lui garantit le retour. Il ressort grâce à l’autre : itinéraire qui me convient mieux et qui ne semble pas trop aberrant puisque, profitant d’une bifurcation pour lui fausser compagnie (n’oublions tout de même pas que le jouvenceau n’est pas exactement digne de confiance), selon un parcours, je vous l’accorde, un peu tarabiscoté , voici que s’ouvre à moi dans une grande bouffée d’air un paysage coïncident inattendu : les Contrées, ce pays imaginaire aux airs originels de jardin décrit dans Les Jardins statuaires[4] de Jacques Abeille — encore un dédale.
Ce n’est qu’au quart de ce gros roman que le thème du labyrinthe, qui irrigue le texte au point que ce dernier peut se lire de bout en bout comme la mise en œuvre de cette métaphore, se cristallise sous la forme du « jardin des femmes ». Les Contrées, que sillonne le voyageur narrateur, étranger au pays, sont en effet constituées de vastes domaines dédiés à la culture des statues, qui poussent comme des plantes mais dont la forme définitive est façonnée par les soins des jardiniers. Or, au sein de chacun de ces domaines, un espace particulier est réservé aux femmes, qui assurent la subsistance de la communauté : le « jardin des femmes » séparé du reste par un labyrinthe végétal. L’entrée en prend si bien des airs de forêt que le narrateur a déjà visité plusieurs domaines sans soupçonner son existence avant que son guide ne la lui désigne.
À partir de ce dispositif romanesque, Abeille explore et réinterprète avec une régularité remarquable le motif du labyrinthe dans toute sa variété — et, avouerai-je, selon mon cœur, celui-là même qui espérait monts et merveilles dans vingt mètres carrés de square. Car le monde des femmes est bien d’abord celui de l’enfance idyllique : les garçons le quittent à l’adolescence, départ assimilable aux yeux du narrateur à « la sortie de l’Éden ». Ils n’y reviendront pas, mais lors des noces, le fiancé doit traverser dans l’obscurité un nouveau labyrinthe, guidé seulement par la lueur de quelques lampes à huile, « car, dans la plupart des domaines, le parcours du fiancé est compliqué selon une tradition locale, et ce n’est qu’après bien des détours qu’il touche au but ». Voilà la femme hissée à un rang sacré, mystère enclos et soigneusement protégé — ce qui rend peut-être justice à Ariane, tout en faisant cependant d’elle l’autre absolu.
Car sous ces gracieux dehors, le labyrinthe dissimule aussi toute la violence d’une société traditionnelle à l’ordre établi rigide, tous ses dysfonctionnements, dont les femmes, comme c’est étonnant, sont les premières à faire les frais. Comme en Crète, on soustrait à la vue ce qui jetterait une ombre sur la glorieuse image de soi que l’on voudrait offrir. L’illusion fonctionne d’ailleurs assez bien puisque, avant de découvrir le pot aux roses, le voyageur a l’impression d’être « la proie de l’un des démons mineurs de la perversité » : il a beau aimer et admirer ces domaines, il ne peut s’empêcher de chercher la faille — comme pour fracturer le mythe, rompre l’illusion. Par exemple, il se demande ainsi comment contourner la loi qui interdit que deux fiancés se voient avant la cérémonie des noces.
C’est ainsi par la duplicité, puis la substitution, que le roman aborde le thème du double. L’écran du labyrinthe offre heureusement aussi quelque avantage aux femmes : il leur permet de voir sans être vues, et ma foi, si le promis ne plaît pas à l’une des jeunes filles, on peut toujours s’arranger avec une amie. Le voyageur a cependant tort d’avoir mauvaise conscience : non seulement son guide ne s’offusque pas de ce qu’il a insinué, mais il le confirme donc et sourit de ce qui est visiblement secret de polichinelle. Redoublement d’artifice, à l’évidence, mais aussi retournement de l’artifice. Le labyrinthe institue bien une séparation, mais l’orientation est moins nette — moins univoque ; un peu comme si nous avions enfin le point de vue du Minotaure. L’espace devient concentrique, et la perspective s’inverse presque si l’on voit dans le monde des femmes, le plus « intérieur » et le plus intime des Contrées, celui du foyer. Le reste du domaine en forme le premier extérieur, qui n’a de prime abord rien de menaçant, à tel point que le narrateur, aussitôt après avoir évoqué le « jardin d’Éden », « [s]e demand[e] si les domaines ne sont pas la figure agrandie de ce jardin originel ». En leur sein, chaque labyrinthe symbolise donc plutôt un rite de passage ; on n’y aborde pas l’autre de front — nul minotaure à affronter —, mais par un détour, un espace de liberté (puisque, dans le labyrinthe « l’agrément et l’utilité se confondent. […] Il n’y a pas d’allées ; on se déplace d’un endroit en un autre en marchant sur une pelouse continue et tout est conçu pour le libre déploiement de la grâce », qui laisse jouer la différence). Laissant un jeu entre dedans et dehors, entre l’un et l’autre, il offre la place d’une rencontre.
Les dédales des Contrées ont ainsi beau avoir leur contrepartie, ils renferment si peu de monstres qu’ils paraissent même le propre de la civilisation, voire de l’homme. Car il existe évidemment un au-delà aux domaines. Plus le voyageur avance dans les terres, vers le nord, plus ces derniers se détériorent avant d’atteindre les steppes et leur peuple de nomades, « barbares » qui font peser sur les Contrées la menace d’une invasion. Les conditions de vie étant plus rudes dans ces domaines reculés, ce qu’ils produisent ne suffit pas à assurer la subsistance de leurs communautés. Aussi les femmes y sont-elles chasseresses. Or, pour qu’elles puissent quitter le domaine, une porte est aménagée dans l’enceinte de leur jardin. Elles ne passent alors nullement par le labyrinthe, qui confirme sa fonction régulatrice, voire créatrice, au sein d’un ordre harmonieux. Et sans surprise, lorsque cet ordre est rompu et que le chaos envahit un domaine, que découvre-t-on ? « Du tissu de leurs branches noires [les thuyas] avaient tout à fait effacé le parcours contourné de jadis ; il n’y avait plus à cheminer par des détours, il suffisait de suivre une étroite brèche rectiligne. » Il n’y aurait qu’un sauvage, un barbare, pour foncer droit devant.
Peut-être suffirait-il de compliquer le parcours, d’étendre le labyrinthe à l’extérieur des domaines pour amadouer l’envahisseur ? Le narrateur envisage bien cette possibilité : « Ensuite — souffrez que j’avance quelque chose de monstrueux —, j’aurais envisagé, pour des raisons défensives, de sacrifier certains domaines pour aggraver l’effet de labyrinthe auquel auront à faire face les envahisseurs. » Voilà qui n’est pas précisément altruiste, et le voyageur ne détaillera pas davantage. Cependant, il relève ailleurs que les dysfonctionnements, d’abord dissimulés par le labyrinthe des femmes et peu à peu dévoilés, ont pour seule cause l’isolement des domaines : chacun fonctionne en autarcie, ce qui le rend vulnérable au moindre grain de sable venant enrayer la machine et bientôt ruiner le délicat équilibre. Tout se passe comme si, au lieu de se clore sur eux-mêmes, ils avaient tout à gagner à s’ouvrir au moins les uns aux autres, au-delà peut-être. Si l’extension du labyrinthe ne suffit à nous en convaincre, il reste le statut particulier que le voyageur acquiert, peu à peu environné d’attente trouble et de craintifs espoirs. « Il me semble que tu n’as d’autre raison d’être que de faire de nouveau circuler les mots qui me manquaient », lui dit son amante (femme des Contrées, bien évidemment, que le voyageur, à la différence de Thésée, reviendra chercher).
« Faire circuler » : tel semble en définitive le maître-mot du labyrinthe et du roman. Circulation de la parole, de l’écriture aussi — le récit les mentionne souvent. Mais avant, et surtout, circulation réelle. Comme Thésée, venu du dehors, le voyageur n’est nullement désorienté : « [Mon guide] proposa que je conçusse moi-même mon itinéraire pour apprendre à me diriger tout seul dans le dédale uniforme des routes presque désertes. Mon sens de l’orientation, quand je lui eus dit quelques mots du chemin que je prévoyais de parcourir, dut le surprendre car il demeura songeur. Je regrettais, de mon côté, de lui avoir peut-être laissé deviner que j’avais de la topographie des lieux, qu’à tout instant je pouvais voir se dessiner sous mes yeux, une connaissance assez juste. » Or cette esquisse de plan, si précieuse soit-elle, n’est cependant pas indispensable et s’avère même néfaste lorsqu’il s’enfonce dans les Contrées. Tant et si bien qu’il finit par abandonner ce relevé, car « la route suivait des contours si capricieux qu’il eût fallu renoncer à mon voyage si j’avais voulu en garder l’exact tracé ». L’irrégularité, le « caprice » ne désorientent, ne font illusion que si l’on cherche trop rigoureusement à se les représenter…
Je pourrais déambuler encore longtemps dans les pas de ce voyageur, autour duquel s’ordonnent réellement les Contrées. Qu’il ignore où il va affermit son pas sans l’égarer, le rendant à même à la fois de s’acclimater et d’accueillir l’autre dans sa complexité et de prendre place dans ce monde qui le séduit. Mais sans doute ai-je ici débouché sur la vue que je cherchais : un labyrinthe véritablement ouvert qui, abritant errances, mécomptes et rencontre, ménage un passage vers le monde. Où, au lieu de se perdre, dans les entrailles du monstre ou la fascination du miroir, on flâne et s’égare, quittant le « bon » chemin — on ne le connaît jamais qu’après coup. J’y retrouve mieux qu’ailleurs la spirale qui symbolise originellement le labyrinthe, où le dehors se transforme en dedans, et inversement[5]. Quant aux mystérieuses affinités qui s’y jouent, je prends congé en laissant à Jacques Abeille le soin d’avoir le dernier mot dans sa description d’un bas-relief, variante des statues.
« On eût dit qu’un homme avait laissé errer au hasard l’extrémité de ses doigts sur une surface de cire molle, en jouant au gré d’une rêverie ignorée. À plusieurs reprises je crus y lire le parcours d’un labyrinthe. On pouvait en conclure, entre le geste et la matière, une affinité si grande que, de la main à la chose, il n’était pas nécessaire que s’intercalât la médiation de l’entendement pour que naquît l’allégorie de la vie à tout soumise et indépendante de tout. »
- Bien évidemment, je suis d’aussi mauvaise foi que la consigne initiale : ce vade-mecum ne vaut en réalité que pour certains labyrinthes. ↩
- Ovide, Métamorphoses, VIII, v. 172-174, trad. A.-M. Boxus et J. Poucet. ↩
- Ibid., v. 158, trad. A.-M. Boxus et J. Poucet. ↩
- Flammarion, 2012. Première parution en 1982. Que le lecteur qui s’apprêtait à flâner dans ces Jardins n’aille pas plus loin, j’en dévoile un peu trop dans ce qui suit. ↩
- Cela correspond d’ailleurs mieux au chemin unicursal (sans impasse) qui distingue, selon les puristes, le labyrinthe du simple dédale, ce dernier offrant des chemins plus variés. ↩