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Du danger qu’il y a de mettre les enfans en religion…
René de Menou (présenté par Romain Weber)

Ces tempsde confinement généralisé m’ont remis en mémoire une période de notre histoire où notre pays fut pris d’une frénésie d’enfermement. Le xvie siècle (merci la Contre-Réforme !) se lance dans une surenchère de clôture des communautés religieuses. Les couvents se transforment et se multiplient : les filles sont enfermées par conviction religieuse… mais aussi pour éviter la dispersion des fortunes.

C’est en tout cas ce que nous dit René de Menou (suivi par quelques historiens d’aujourd’hui) dans Les Heures perdues de R. D. M. Cavalier François. Dans lequel les esprits melancoliques trouveront des remedes propres pour dissiper ceste fascheuse humeur (1615). Il ne s’agit que d’un recueil d’histoires facétieuses, mais qui fait entendre une des rares voix qui s’élèvent contre les consentements arrachés aux religieuses par la pression sociale ou l’autorité parentale. René de Menou était de la meilleure société. Proche de Louis XIII et Richelieu, il peut se permettre de dire beaucoup, même s’il ne signe son texte que de ses initiales. Un de ses thèmes favoris : dénoncer les contraintes qui pèsent sur ses contemporaines. J’en ferais presque le premier féministe moderne. Deux histoires sur vingt-sept nous montrent des femmes enfermées. À chaque fois, un micro-essai réfléchit à sauts et à gambades sur les sujets abordés, puis laisse place à un récit cocasse.

Dans la huitième histoire, c’est l’envie d’hommes qui pousse un couvent à la folie. J’y vois volontiers la reprise, à la Tex Avery, du cas de possession qui fit grand bruit entre 1609 et 1611 et brûler le malheureux prêtre Louis Gaufridi, accusé d’avoir ensorcelé les femmes du couvent des ursulines d’Aix-en-Provence.

Durant huit pages d’introduction, R. D. M., puisque c’est ainsi qu’il signe, expose les ravages de l’avarice et les raisons qui poussent certaines familles à mettre leurs filles au couvent avant l’âge des premiers désirs. Sa prose d’idée n’est pas des plus faciles à suivre, je ne laisse que le récit.

Malgré Menou, on le sait, la folie de l’enfermement va progresser, mais aussi exciter contestation et imagination, pour donner naissance à un thème fort de notre littérature : la claustration. Dramatique dans Les lettres portugaises (1669), La religieuse malgré elle (1720) ou La Religieuse de Diderot (ca 1780) ou érotique dans une longue lignée de romans fantasmant jusqu’à la Révolution, l’intimité des cellules : Les Entretiens de la grille, ou le Moine au parloir (ca 1682), Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise (1683), Les Délices du cloitre, ou la None éclairée (1737), etc.

Romain Weber.


8. Du danger qu’il y a de mettre des enfans en Religion, avant qu’ils ayent l’usage de la raison ; & de quelle sorte toute une compagnie de Religieuses se releva du vœu qu’elles disoyent avoir faict pour obeir à leurs parens.

[…] Seulementje raconteray ce qui arriva dans une Abbaye de femmes de ce Royaume, dont je tairay le nom. Les devotes qui y faisoient leur demeure, y ayant esté la pluspart mises de la sorte que j’ay dit cy dessus, par force, par persuasions, par surprise, ou si jeunes, que la consideration des ressentimens du monde n’avoit encore agité leurs esprits d’aucun desir contraire, lequel se fortifiant avec l’aage, leur fit souhaitter de sentir l’effect des douceurs que la nature figuroit à leur imagination, de telle sorte qu’elles songeoient tous les moyens pour parvenir à l’execution de ceste pensée, chascune en particulier occupoit son esprit à ceste recherche : mais ne rencontrant point d’occasion propre pour leur faciliter ceste voye, elles s’adviserent d’en conferer entr’elles, pour veoir si toutes ensemble elles pourroient mieux arriver à descouvrir une invention pour parvenir à leur desseing : Tellement que de toutes celles qu’elles proposerent, celle où elles s’arresterent pour la meilleure, fut de descouvrir leur maladie à un Confesseur qu’elles avoient, qui outre le soing qu’il prenoit de leurs ames, portoit aussi l’œil sur l’œconomie & leur servoit de Factotum : Estant mandé au Chapitre où elles s’assemblerent, l’Abbesse prist la parole pour toutes en ceste sorte : « Je ne doute pas (mon Pere) que vous ne vous estonniez d’entendre ce que je me suis chargée de vous dire de la part de toute ceste compagnie, & de la mienne ; mais le mal que nous sentons nous presse de telle sorte, qu’il n’y a plus de moyen de l’endurer sans secours : nous l’avons cherché parmy nous tant qu’il nous a esté possible, & ne l’y ayant rencontré, où puis-je avoir recours pour soulager ce troupeau, qu’à celuy qui en a la conduitte ? Pour nous faire veoir clairement où gist nostre mal commun, vous devez considerer, & [je] m’asseure que vous le sçavez assez, comme nous avons esté toutes mises ceans plus par contraincte que de bonne volonté, & qu’il n’y en a pas une qui n’eust esté plus contente de vivre au monde, que dans ce Cloistre, & jouyr des douceurs d’un mariage, que d’estre obligée par vœu à la conservation de sa virginité. Nous avons repugné tant qu’il nous a esté possible à ces fantasies, mais nostre resistance n’a sceu emporter la victoire, & en sommes reduictes à tel poinct, que si par vostre ayde nous ne trouvons du secours, nous sommes resoluës de chercher à quelque prix que ce soit, la voye pour chasser les tourmens qui nous affligent. Si toutesfois vous nous voulez promettre de vous employer franchement en ceste affaire, nous la commettrons en vostre main, afin que le tout se puisse (s’il y a moyen) executer sans scandale : Vous asseurant que si vous l’entreprenez, que nous aurons patience d’attendre quel succés reüssira de vostre labeur. & pource que le fait merite de la diligence, je vous diray, que, ce que nous souhaittons de vous est, que vous entrepreniez un voyage vers nostre Sainct Pere, auquel vous ferez veoir au naïf nostre maladie, & l’estat où vous nous avez laissées, le suppliant qu’il entre en consideration de nostre miserable condition, & qu’il nous permette de la changer, d’aller vivre parmi nos proches, & avec ceux que nous esperons acquerir pour espoux. & si vous voyez qu’il nous refuse ceste sortie, suppliez-le de rechef qu’à tout le moins il nous permette que quelque gentil Cavalier vienne apporter de l’eau dans nostre feu, autrement nous serons contrainctes d’en aller nous mesmes chercher jusques à la fontaine, aymant mieux nous mettre en hazard d’estre blasmées de ceux qui ne sentent pas nos peines, que d’estre perpetuellement reduictes au terme où nous sommes. »

Le bonhomme Factotum, ayant entendu ceste gentille harangue, se preparoit à censurer leur opinion, & à leur proposer des raisons pour la renverser ; mais elles jugeant quel estoit son desseing, se mirent toutes d’une voix à crier apres luy : « Non non, mon Pere, il n’y a Philosophie & ny Theologie qui nous puisse guerir, autre que celle que vous avez ouye par la bouche de Madame ; partant resolvez vous d’executer ce qu’elle vous a dit, ou bien nous y pourvoyerons comme le temps nous ordonnera. » Luy voyant l’ardeur dont elles proferoient leurs paroles, jugea estre à propos de leur promettre l’execution de leur volonté, & de faire un voyage vers sa Saincteté : Tellement que les ayant appaisées par cette asseurance, & tiré promesse qu’attendant son retour, elles ne feroient rien mal à propos. Il s’en va donner ordre à son partement, & s’acheminant le lendemain du matin, il fit si bonne diligence qu’en peu de temps il arriva à Rome, où il sejourna peu, sans aller trouver le Sainct Pere, auquel il raconta de mot à mot l’extréme desir que les Religieuses de l’Abbaye où il faisoit sa demeure, avoient, de remettre le diable en enfer, l’asseurant que s’il n’estoit bien tost trouvé quelque moyen pour leur faire perdre ceste opinion, que sans doute elles quitteroient le spirituel, pour suivre le temporel : que tout ce qu’il avoit peu faire pour retarder ce desordre, c’avoit esté de leur accorder d’entreprendre de venir vers sa Saincteté, luy demander la permission que vous avez ouye cy dessus, & cependant tirer promesse, que durant son absence elles ne feroient rien mal à propos, que ce qu’il demandoit, toutesfois, n’estoit pas cela ; mais advis & commandement de ce qu’il auroit à faire à son retour, pour éviter ce scandale.

Toute la resolution qu’il eut là dessus, fut, qu’il s’en allast trouver ces devotes, & qu’il leur fist de bonnes admonitions, pour divertir ces apetits de leurs fantasies : que si ces leçons n’y servoient, qu’il falloit faire hausser les murailles ; garder bien que personnes n’entrast où elles estoient, les faire jeusner souvent, mettre doubles grilles aux ouvertures, & si encore tout cela ne profitoit, qu’il leur donnast la discipline ; s’asseurant qu’il ne leur auroit pas fait user de ces preservatifs cinq ou six mois, que l’esguillon de la chair ne les picqueroit pas si fort : mais que sur tout il prist bien garde que quelque diable n’entrast parmy elles, de peur que trouvant la porte de leur enfer ouverte, il n’y entrast, sans luy demander congé.

Le bon homme, instruict de la sorte, s’en retourna vers ces affamées, lesquelles le sçachant arrivé, chascune court à luy pour le caresser, & se resjouyr de sa venuë, & n’eurent pas loisir, le sçachant si pres, de quitter leurs ouvrages, pour luy aller au devant. Tellement que les unes qui esperoient bien tost estre hors de là, avec la permission de leur Superieure, travailloient à faire des chemises, & autres linges necessaires & propres à l’usage des maris, qu’elles se promettoient d’espouser : Les autres qui avoient bon courage, & qui s’asseuroient de n’estre long-temps avec les hommes sans avoir des enfans, s’amusoient à faire des bonnets, des baverettes, des devanteaux, & mille petites hardes, propres pour eux. Tellement que le bon homme Factotum, voyant à quoy elles avoyent passé les jours de son absence, jugea incontinent que leur imagination avoit esté plus remplie des delices du monde, que des meditations sur l’heure de la mort. L’impatience & la curiosité (vice ordinaire parmy les femmes) les obligea à s’enquerir promptement quel avoit esté le succés de son voyage, à quoy il ne satisfit pour l’heure ; remettant la partie au lendemain, qu’elles seroient toutes assemblées dans le Chapitre, où il en feroit le discours. Il se porta donc à l’assignation, où il ne fut si tost qu’elles, qui y estoient plus d’une heure devant luy, tant elles estoient animées d’un violent desir de sçavoir ce qu’il avoit faict pour leur contentement, & s’il avoit apporté dispence pour remedier aux tentations de la chair, telle qu’elles la demandoient. Voyant leurs visages enflammez d’un vermillon qui monstroit evidemment l’alteration qu’elles souffroient, & laquelle il cognoissoit bien, il creut ne devoir pas leur dire ce que le Sainct Pere lui avoit commandé, de peur de leur faire naistre un desespoir, qui les convieroit à entreprendre une revolte generale, mais seulement leur donner quelque mensonge, pour les appaiser, jusques à ce qu’il leur peust declarer la verité sans crainte, qui le fit parler de la sorte :

« Mes chereset bien aymées filles, je n’ay manqué suivant ma promesse, d’aller trouver nostre Sainct Pere, pour tascher par mes persuasions, & les remonstrances du mal qui vous presse, de l’obliger à accorder les treshumbles supplications que je luy ay faictes pour vous, à quoy je l’ay trouvé fort difficile, pour les considerations du vœu que vous avez toutes fait, qui seroit scandaleux d’enfraindre, m’ayant mesmes fort rabroüé dequoy je luy presentois une requeste si incivile ; mais je luy ay tant mis de considerations devant les yeux, qu’il m’a en fin concedé, que pour subvenir à vos necessitez, je vous fisse toutes assembler une fois la sepmaine dans le Chapitre, & que je prisse garde exactement à celle qui auroit la bouche la plus grande, & qu’à celle-là je luy permisse ce jour de faire le service en sa chambre, & faire adoucir l’ardeur de ses flammes, par celuy qu’elle jugeroit le plus propre pour cela. »

Ce qu’il n’eut plustost achevé de dire, que toutes ensemble commencerent à serrer les fesses tant qu’elles peurent, & ouvrant la bouche le plus large qu’il leur fust possible, proferer d’une voix : « Ha, ha, ha, ha, que voilà un honn a, a, a, a, t’homme ! Ce bon Pere cognoissant par la promptitude de ce signe, qu’elles ne demandoient que de combattre en duel, leur repart : « Mes filles, un peu de patience, ce n’est pas encore tout, car j’ay bien obtenu davantage de sa Saincteté, en ce qu’il permet à celle qui aura la bouche la plus petite au jour que je feray cette espreuve, qu’elle continuëra toute la sepmaine l’exercice qu’elle trouvera le plus agreable. Oyant ces derniers discours, elles ne se peurent tenir de tesmoigner leur aise par leurs actions, & par leurs paroles : car serrant la bouche le plus qu’elles peurent, & ouvrant le derriere à l’esgal (pource qu’il faut qu’il y aye tousjours un bout ouvert, pour donner vent, de peur d’estouffer) elles firent resonner doucement ces mots : « Hé, hé, hé, hé, Zezu, l’honé é é é st’homme ! achevant lesquels, elles s’approchent du bon Pere, le suppliant de declarer celle qui avoit merité de jouyr de la dispence, afin qu’elle ne perdist point temps. A quoy il repliqua : « Mes filles, les choses qui se font si promptement, & sans consideration, ne sont jamais bonnes : C’est pourquoy je suis d’avis que nous empeschions le scandale le plus que nous pourrons : Pour à quoy obvier je juge à propos de faire hausser nos murailles, de faire faire doubles grilles aux ouvertures de ceste maison, afin que ceux qui en auront cognoissance, jugent par là que c’est pour apporter une reformation plus exacte : Cependant vous aurez un peu de patience jusques là, vous asseurant que cela fait, vous praticquerez votre dispence selon vos desirs. Les finettes entrerent en doute que ceste remise ne fut un moyen pour leur empescher la possession de leurs volontez, & que ces murailles, & ces grilles achevées, le vieux Prophete ne se mocquast d’elles. Qui les mist en colere de telle sorte contre luy, qu’apres luy avoir dit mille injures, elles lui eussent donné l’imposition des mains, si appercevant cest orage il n’eust esquivé le choc, gaignant la porte si viste, qu’elles ne le peurent joindre, pour luy faire sentir le tesmoignage de leurs courroux, lequel appaisé, elles se resolurent de ne s’amuser plus à ses promesses, mais d’employer leur jeunesse tandis qu’elle estoit en sa verdeur. Ce qu’elles ont si soigneusement executé, que les esclats qui en sont vollez, m’estant venus chocquer les oreilles, m’ont obligé d’en parler de la sorte, afin que tout le monde cognoisse (particulierement ceux qui ont des enfans) qu’il ne faut jamais les forcer à faire un vœu, duquel ils se repentent à moitié de la carriere. 

Texte extrait de l’unique exemplaire de l’édition originale sans éditeur
qui se trouve sous la cote 16-Z-4950 à la Bibliothèque nationale de France.
Image : Antonello da Messina, Pinacothèque de Sammlung. Domaine public.